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« Libérez Britney Spears » : hospitalisation sous contrainte, tutelle et santé mentale

Par Jean-Victor Blanc, Sorbonne Université

La chanteuse américaine Britney Spears a connu la renommée internationale à 17 ans, en 1998, année de la sortie de son premier single, « …Baby One More Time ».
Mais la carrière médiatique de celle que ses fans surnomment la « princesse de la pop » avait commencé bien des années plus tôt, avec sa participation, dès l’âge de 11 ans, à l’émission de télévision pour enfants « The Mickey Mouse Club ».

Sorti le mois dernier, le documentaire « Framing Britney Spears », produit par le New York Times, revient sur cette réussite précoce et peu commune. Il s’attarde surtout sur la période compliquée qu’a vécu la pop-star au milieu des années 2000.

Pourchassée en permanence par des paparazzi, qui documentent le moindre de ses faits et gestes (de son mariage en état d’ivresse – qui dura 55 heures – à son rasage de crâne dont les images ont marqué les esprits), Britney Spears finira hospitalisée sous contrainte. Elle fait aujourd’hui encore l’objet d’une mesure de tutelle qui a conduit ses fans à lancer le mouvement #freebritney (« Libérez Britney »).

Mais la libérer de quoi ? Mal connues, les diverses mesures judiciaires ayant trait à la santé mentale sont souvent confondues. Faisons le point.

Les soins sous contraintes sont très rares en France

En pratique clinique, les troubles psychiatriques qui motivent des soins sous contraintes sont le plus souvent des idées suicidaires ou des pensées délirantes avec trouble du comportement. Le risque est alors que l’absence de soins soit préjudiciable à la personne, mais qu’elle ne puisse y consentir en raison du trouble psychique.

Dans ces situations, il est possible d’imposer des soins temporairement, le temps que la personne aille mieux. Cette restriction des libertés est très encadrée, et nécessite l’avis de plusieurs médecins et du juge des libertés afin d’éviter des situations abusives. Sa nécessité est réévaluée très régulièrement afin que la mesure de contrainte ne dure le moins de temps possible.

En France, trois situations sont possibles :

  • à la demande d’un tiers : terme est relativement inexact, puisque c’est le médecin, psychiatre le plus souvent, qui prend la décision d’hospitaliser, au vu de son examen clinique. L’état mental du patient doit nécessiter des soins immédiats et une surveillance médicale rapprochée. En plus du certificat médical, un « tiers », souvent la famille ou un proche justifiant d’une ancienneté dans ses relations avec la personne et susceptible d’agir dans son intérêt rédige une demande qui doit respecter des critères bien précis.
  • En cas de péril imminent : c’est-à-dire lorsqu’il y a un danger imminent pour la personne, constituant une indication pour une hospitalisation, mais qu’il n’y a pas de tiers disponible pour remplir la demande. C’est le cas pour les patients très isolés ou dont les proches sont injoignables ou très loin.
  • Sur décision d’un représentant de l’État : c’est un mode d’hospitalisation pour les patients qui nécessitent des soins et dont le trouble psychique les rend potentiellement dangereux pour autrui ou capables de porter atteinte de façon grave à l’ordre public. C’est alors par arrêté préfectoral, au vu d’un certificat médical, que les soins sont imposés. C’est le mode d’hospitalisation sous contrainte le plus rare, il concerne moins d’une personne sur cinq hospitalisées sous contrainte.

Contrairement aux idées reçues, les soins libres restent la règle en psychiatrie en France. En effet, dans notre pays les personnes qui sont hospitalisées sous contrainte ne représentent que 5 % des personnes recevant des soins.

Britney Spears était bien dans une démarche de soins libre lorsqu’en avril 2019 elle a été hospitalisée en psychiatrie à sa propre demande. Les médias l’ont visiblement mal compris, la plupart parlant « d’internement ». Cependant, aujourd’hui, ce qui est au centre des débats du mouvement #freebritney est la mesure de tutelle mise en place il y a 13 ans.

Sauvegarde de justice, curatelle, tutelle

Les mesures de sauvegarde de justice, de curatelle et de tutelle sont des mesures de protection des biens. Elles visent à protéger de manière durable le patient, notamment dans sa gestion de ses finances. Certaines maladies psychiatriques peuvent en effet abolir transitoirement le discernement.

La fortune de Britney Spears est estimée à 60 millions de dollars. Ce montant considérable, amassé par une chanteuse issue d’un milieu populaire, a sûrement contribué aux inquiétudes sur ces capacités ou non à la gérer.

La sauvegarde de justice constitue un premier degré de protection. Elle peut être mise en place pour un an sur déclaration du médecin traitant au procureur de la République, accompagnée de l’avis d’un psychiatre ou d’un gériatre. Les droits civils de la personne concernée demeurent, mais il est possible d’annuler plus facilement les actes (achats ou vente pas exemple) qui pourraient lui être préjudiciables.

La perte des droits est différente entre les différentes mesures de curatelle – curatelle simple, curatelle renforcée – et la tutelle. Dans le cadre d’une curatelle, la personne gère seule ses revenus et dépenses de la vie courante, mais a besoin de l’accord de son curateur pour les actes importants (vente ou achat immobiliers par exemple). Sous tutelle, la mesure de protection des biens s’applique à tous les actes de la vie civile. La personne sous tutelle doit obligatoirement être consultée pour les actes importants, et son avis sera respecté à chaque fois que cela est possible. Le juge des tutelles réajuste ces mesures dès que nécessaire, et doit donner son accord pour les décisions importantes. C’est lui qui nomme le curateur ou tuteur, qui peut être un proche ou un professionnel.

Dans notre pays, seules les mesures de tutelle sont pérennes. Elles peuvent être mises en place pour 5 ans et sont renouvelables. En cela, elles diffèrent de l’hospitalisation sous contrainte. Elles sont prononcées par un juge après auditions de l’intéressé, de ses proches, d’une expertise psychiatrique, d’un avis du procureur de la République et d’un rapport social.

En France, le juge des tutelles peut être sollicité par le majeur, sa famille ou un proche pour mettre fin à la mesure si elle n’est plus nécessaire. Si elle n’est pas renouvelée au bout des 5 ans, elle devient caduque. La conversion en une autre mesure ou le décès de la personne sont les deux autres modes de fin de la tutelle ou curatelle.

On pense souvent que ces mesures sont réservées aux personnes âgées atteintes de démences, mais la tutelle s’adresse à tout individu majeur en ayant besoin, du fait de l’altération de ses facultés mentales ou lorsqu’il est physiquement incapable d’exprimer sa volonté. En France, cela concerne environ 700 000 majeurs.

Des mesures salvatrices ?

Il serait tentant -mais inexact selon moi- de faire de la star une martyre de la psychiatrie. Ces mesures lui ont peut être permises d’éviter le tragique destin d’Amy Winehouse ou Whitney Houston, toutes deux décédées d’overdose en 2011 et 2012. Les documentaires biographiques « Amy » et Whitney » montrent que dans la balance entre intérêt financier et santé, cette dernière n’était pas considérée comme prioritaire par leur entourage.

Des théories qui pullulent sur internet voudraient que la star californienne soit prise en otage et délivrerait des messages cryptés sur son compte Instagram. Britney Spears a pourtant fait à plusieurs reprises des déclarations rassurantes sur son état de santé. Dans le documentaire « Framing Britney Spears » on apprend que l’interprète de « Overprotected » ne demande pas la résiliation de la tutelle, mais un changement de tuteur. Ce qui paraît bien légitime, puisqu’elle a dit à plusieurs reprises ne pas s’entendre du tout avec son tuteur père, James Spears. Elle a ainsi déclaré ne plus vouloir faire d’album ni de tournée tant qu’il reste son représentant légal, et profiter de ce temps pour elle.

On peut voir en cela une émancipation et une démarche de rétablissement effective. En effet, la définition du rétablissement est un processus de redéfinition de soi, de telle sorte que l’individu n’est plus centré sur la maladie psychique, ni déterminé par elle.

Rappelons que l’interprète de « Toxic » n’a jamais publiquement évoqué le nom du trouble dont elle est atteinte. Un tel coming out serait un puissant moyen de réduire le stigma entourant la santé mentale. Alors que cela paraissait inimaginable il y a quelques années, les prises de paroles récentes d’artistes comme Mariah Carey, Kanye West ou Selena Gomez ont contribué à changer le regard que notre société porte sur la santé mentale. Mais cette décision n’appartient évidemment qu’à la chanteuse, qui fera une annonce quand elle le souhaitera, si elle le souhaite un jour. En attendant, « leave Britney alone ! » (laissons Britney tranquille !)


Pour en savoir plus :

  • Podcast “Psycho Pop” disponible sur Majelan
  • Blanc J.-V. (2019) « Pop & psy : Comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », éditions PLON.The Conversation

Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.